Le son compte, pas la lettre
Ce qu’on croit : Une rime en “A”, c’est un mot qui se termine par la lettre “a”. Pas forcément
Ce qui se passe vraiment : En français, la rime se décide à l’oreille. C’est-à-dire que l’on parle de sons, pas d’orthographe. Sous un autre angle, “à”, “a” (verbe avoir), “ah” et “bas” riment entre eux parce qu’ils se terminent sur le même son [a], même si l’écriture change. À l’inverse, un mot qui finit par la lettre “a” ne rime pas forcément s’il ne se prononce pas [a] en fin (cas rares mais possibles avec des noms propres ou des prononciations importées). De façon générale, retenez: si votre oreille entend [a] en dernière voyelle du mot ou du groupe final, vous êtes sur une rime en “A”.
Ce qu’il faut faire :
- Écouter le son final. Lisez à voix haute. Si la fin sonne [a], c’est une rime en “A”.
- Exemples : “à”, “a”, “ah”, “là”, “bas”, “cas”, “déjà”, “voilà”, “caméra”, “opéra”, “yoga”, “saga”, “panda”, “coca”, “spa”.
- Accepter les homophones. “a/à/ah” riment, tout comme “bas/bah”.
- Exemples de paires utiles : “là / cas”, “déjà / voilà”, “yoga / saga”, “Léa / Gaïa”.
- Tester en contexte. Remplacez un mot par un autre en fin de vers: si ça “tombe” pareil, c’est validé.
- Exemple : “Je m’arrête là / j’en reparlerai demain — déjà.” → “là / déjà” fonctionne.
Tous les “a” ne se valent pas: distinguer vrais “A” et faux-amis
Beaucoup de graphies trompent. “oi” se prononce [wa] (“moi”, “toi”, “trois”) et ne rime pas avec [a]. “an/en” se prononcent [ɑ̃] (“plan”, “en”), donc pas de rime en “A”. Même chose pour “-as” quand le “s” se prononce (très rare en français courant, mais présent dans certains noms propres, sigles ou lectures hyperarticulées). En d’autres termes: se fier à l’œil, c’est le meilleur moyen de se tromper; fiez-vous à l’oreille.
Ce qu’il faut faire :
- Écarter les finales non [a].
- À éviter : “moi, toi, trois” [wa]; “an, en, plan, lent” [ɑ̃].
- À garder : “là, déjà, opéra, Léa, saga, spa, coca”.
- Faire une liste “feu vert / feu rouge”.
- Feu vert (ok rime A) : “à, a, ah, bah, bas, cas, là, déjà, voilà, Léa, Gaïa, Sofia, Caméra, Opéra, Yoga, Saga, Panda, Coca, Colza, Salsa, Spa, Dada”.
- Feu rouge (pas rime A) : “moi, toi, noix, trois, lois” ([wa]); “Jean, lent, grand” ([ɑ̃]).
- Se méfier des emprunts mal prononcés.
- Exemple : “pizza” se termine bien par [a] en français courant → rime en “A”. “kebab” ne se termine pas par [a] → pas rime en “A”.
Rime pauvre, mais pas pauvre en style
Ce qu’on croit : Pour faire “pro”, il faut une rime riche en “A”.
Ce qui se passe vraiment : En poésie française, la richesse de la rime se mesure aux sons identiques à partir de la dernière voyelle accentuée jusqu’à la fin du mot. Avec un “A” nu (pas de consonne après), toutes les rimes en “A” sont “pauvres” par définition: elles ne partagent que la voyelle [a]. De toute évidence, c’est une limite structurelle, pas un défaut de goût. La bonne nouvelle? Vous pouvez compenser ailleurs: rythme, images, assonances internes, jeux syntaxiques, chutes surprenantes.
Ce qu’il faut faire :
- Assumer la rime pauvre et enrichir autrement.
- Rythme : alternez longueurs de vers, utilisez un refrain.
- Assonances internes : répétez le son [a] au milieu du vers.
- Exemple : “Dans la chaleur pâle, la voix s’abat là.” (répétitions de [a])
- Soigner la chute.
- Exemple : “Je le dis tout bas — mais je reste là.” → rime pauvre, chute nette.
- Jouer la rime composée (groupe de mots).
- Exemple : “là-bas / Cé-lé-na” (nom propre en 3 syllabes finissant par [a]) → toujours rime en “A”, mais plus ample à l’oreille.
- Mixer les familles lexicales pour la variété.
- Exemples : interjection (“ah”), déterminant (“la”), verbe (“va”), nom commun (“saga”), nom propre (“Léa”).
Les meilleures familles pour rimer en “A” rapidement
Ce qu’on croit : On manque vite de mots en “A” en français.
Ce qui se passe vraiment : D’une part, l’usage courant fournit plein de mots très efficaces (petits mots grammaticaux, interjections, verbes très courts). D’autre part, la langue accueille des emprunts hyper utiles, notamment en -a: “yoga”, “saga”, “panda”, “coca”, “colza”, “salsa”, “opéra”, “caméra”, “tuba”, “quota”, “sonata” selon le registre. Par conséquent, vous avez beaucoup plus de munitions que prévu.
Ce qu’il faut faire :
- Mobiliser les “petits mots magiques”.
- Déterminants/pronoms : “la, sa, ta, ma, ça”.
- Verbes : “a” (avoir), “va” (aller).
- Adverbes/locutions : “déjà, voilà, là-bas, par-là”.
- Interjections : “ah, bah, ha!”
- Exemples de finales : “— Je n’insiste pas, je m’arrête là.” / “— C’est dit déjà.”
- Exploiter les emprunts bien installés.
- Noms communs : “yoga, saga, panda, coca, colza, salsa, spa, tuba, quota, sonata, polka, samba”.
- Culture/arts : “opéra, camér(a), cumbia, rumba”.
- Exemples : “Le vieux tuba / sommeille déjà.” / “Cette saga / s’achève là.”
- Utiliser des noms propres pour élargir la palette.
- Prénoms : “Léa, Sofia, Mia, Sanaa, Gaïa, Aïcha”.
- Lieux : “Lima, Accra, Osaka, Osaka, Malta → ‘La Valetta’ finit en [a]? non, préférez ‘Malta’ prononcé [malta].”
- Exemples : “Je pense à Léa / rencontrée là.” / “De Lima à Accra / la route va.”
- Composer avec des groupes finissant sur [a].
- Exemples : “tout ça”, “par là”, “si ça va”, “ça ira”.
- Phrase type : “On verra — si ça va, on reste là.”
Compter sans se tromper: syllabes, diérèse, et fluidité
Ce qu’on croit : Si ça rime en “A”, le compte des syllabes n’a pas d’importance.
Ce qui se passe vraiment : Quoi qu’il en soit, la rime n’efface pas la prosodie. En poésie comme en chanson, le débit, les coupes et le nombre de syllabes jouent dans l’oreille du lecteur. La diérèse/synérèse peut changer la donne: “Léa” peut se prononcer [le.a] (deux syllabes) ou [lea] (plutôt en synérèse, une coulée), selon votre style. Au fil du temps, vous sentirez ce qui tombe juste, mais dans l’immédiat, mieux vaut vérifier systématiquement.
Ce qu’il faut faire :
- Lire et frapper dans les mains pour scander.
- Exemple : “dé-jà” (2), “o-pé-ra” (3), “sa-ga” (2), “Lé-a” (souvent 2).
- Astuce : Si ça cafouille, changez l’ordre ou un petit mot: “là” est un excellent tampon.
- Éviter les accumulations heurtées.
- Exemple raté : “Là déjà, ça va, bah, là” (trop de “a” collés).
- Version fluide : “Là, je m’arrête — c’est tout; c’est déjà ça.”
- User de la diérèse quand elle clarifie.
- Exemples : “po-é-sie” (3 ou 4 selon choix), “Lé-a” (2) → choisissez la version qui sert le rythme.
- Conseil : testez deux lectures et gardez celle qui respire mieux.
Homophones, accents et ponctuation: sécuriser vos rimes en “A”
Ce qu’on croit : Les accents écrits et la ponctuation changent la rime.
Ce qui se passe vraiment : En fin de vers, ce qui compte, c’est le dernier son audible. L’accent grave “à”, l’accent circonflexe “â” (quand il existe) ou l’absence d’accent ne changent pas la rime si le son final reste [a]. La ponctuation (virgule, tiret, point) n’affecte pas le son final non plus. En d’autres termes, “a/à/ah” riment, peu importe l’accent, et une virgule ne casse pas la rime.
Ce qu’il faut faire :
- Valider par l’oral, ignorer les accents graphiques.
- Exemples : “à / a / ah / là / déjà / opéra” → tout rime en “A”.
- Contre-exemple : “moi / toi / trois” → fin [wa], donc pas “A”.
- Utiliser la ponctuation pour la respiration, pas pour la rime.
- Exemple : “Je m’arrête là, / le vent déjà…” → la rime “là / déjà” reste valable.
- Exploiter les homophones pour des effets de sens.
- Exemples : “a / à” (“il a / il va à”), “bas / bah”, “la / là” → jeux de mots possibles sans perdre la rime.
Méthode express pour écrire avec des rimes en “A”
Ce qu’on croit : Trouver des rimes en “A” prend trop de temps.
Ce qui se passe vraiment : Pour faire court, avec une petite méthode, vous allez beaucoup plus vite. D’une part, la rime en “A” est abondante; d’autre part, un mini-processus vous évite le surplace: cible → panier de rimes → filtre → essai oral → version finale. Par conséquent, vous gagnez en clarté et en rythme.
Ce qu’il faut faire :
- 1. Ciblez le sens exact de votre fin de vers.
- Exemple : Vous voulez finir sur l’idée de “rester”. Mot-clé: “là”.
- 2. Dressez un panier de rimes en 30 secondes.
- Exemples bruts : “là, déjà, voilà, ça, va, ah, bah, Léa, saga, yoga, caméra, opéra, tuba, colza, salsa, panda”.
- 3. Filtrez par registre et ton.
- Exemples : Poétique: “déjà, voilà, opéra”. Pop/quotidien: “ça, va, bah”. Culture: “caméra, saga”.
- Astuce : Évitez les emprunts “cassants” si vous visez un registre classique.
- 4. Testez à voix haute et cadencez.
- Exemple : “Je reste là; / le jour s’en ira.” (balance 3–4 syllabes)
- Variante : “Je reste là — / la fatigue est déjà là.” (assonance interne + rime)
- 5. Figez la version la plus naturelle.
- Exemple final : “Je reste là; / le jour s’en ira.” → simple, clair, mémorisable.
Liste récapitulative
| Idée reçue (Ce qu’on croit) | Conseil utile (Ce qu’il faut faire) |
|---|---|
| “Une rime en ‘A’, c’est une fin en lettre a.” | Écouter le son final: si vous entendez [a], la rime en “A” est valide (ex.: “à, a, ah, là, déjà”). |
| “Tout mot avec un ‘a’ écrit convient.” | Écarter les faux-amis: “oi” [wa], “an/en” [ɑ̃] ne riment pas en “A”. Tester à voix haute. |
| “Il faut une rime riche pour être élégant.” | Accepter la rime pauvre et enrichir autrement: rythme, assonances internes, chute soignée. |
| “On manque de mots en ‘A’.” | Mobiliser petits mots, emprunts et noms propres: “ça, va, déjà, yoga, saga, Léa, opéra…”. |
| “La rime suffit; le compte des syllabes est secondaire.” | Scander, ajuster par diérèse/synérèse, lisser les transitions (“là” est un bon tampon). |
| “Accents et ponctuation changent la rime.” | Ne considérer que le son final: “a/à/ah” riment; la ponctuation n’a aucun effet sonore. |
Conclusion
En fin de compte, appliquer ces points simples permet d’éviter bien des erreurs. La rime en “A” est l’une des plus accessibles: si vous vous fiez à l’oreille, écartez les faux-amis, assumez la rime pauvre et jouez la musicalité du vers, vous gagnerez en précision et en fluidité. Ce qu’on croit souvent vrai ne résiste pas aux faits… et c’est tant mieux pour progresser. Au plus tôt, testez vos finales à voix haute, bâtissez votre petite banque de rimes, et laissez le rythme faire le reste.