À première vue, notre époque ne jure que par les podiums, les KPI au vert et les “success stories” écrites au cordeau. Essayer, dans ce décor, semble presque suspect, comme si l’ébauche était un aveu d’échec et non une étape naturelle. À vrai dire, c’est l’inverse: “essayer” est un acte de lucidité, parfois même de résistance douce face à la tyrannie du résultat. Picasso le résumait à sa manière: « En peinture on peut tout essayer. À condition de ne jamais recommencer ». Sous un autre angle, il nous rappelle qu’essayer n’est pas errer au hasard, mais avancer par variations, sans boucler en rond.
Voyons ensemble ce qu’il en est vraiment et comment bien faire.
Conseils concrets
1) Repenser le couple “essai/échec”
Ce qu’on croit: Essayer prouve qu’on n’a pas le niveau, la réussite ne laisse pas de traces.
Ce qui se passe vraiment: De toute évidence, l’essai n’est pas l’antichambre de l’échec, c’est l’atelier de la réussite. Les prototypes servent à apprendre vite, au moindre coût, et à corriger le tir au plus tôt. En d’autres termes, “échouer” à petite échelle, c’est réussir à ne pas échouer à grande échelle.
Ce qu’il faut faire:
- Définir des objectifs d’apprentissage. D’une part, fixez ce que vous voulez comprendre (une hypothèse), d’autre part, la mesure qui prouvera que vous avez appris.
- Exemple: “Je teste si un email de 5 lignes obtient >20% de réponses en 48h.”
- Découper en micro‑expériences. Pour faire court, mieux vaut trois essais rapides qu’un seul “grand lancement”.
- Exemple: trois versions d’un pitch, 10 appels chacune, puis on garde la meilleure.
- Rythmer la boucle essai → feedback → ajustement. Au fil du temps, une cadence hebdo de revue force la progression.
- Exemple: revue chaque vendredi: ce qu’on a tenté, appris, changé.
2) Sortir de la logique “tout ou rien”
Ce qu’on croit: Soit on réussit comme prévu, soit tout est perdu.
Ce qui se passe vraiment: Quoi qu’il en soit, la réussite durable ressemble davantage à un portefeuille d’essais qu’à un coup parfait. Certaines pistes échouent, d’autres percent, et l’essentiel est d’exposer souvent ses idées au réel, là où la valeur se révèle. Par conséquent, vous augmentez vos chances en multipliant les mises petites et réversibles.
Ce qu’il faut faire:
- Classer les décisions selon leur réversibilité. “Porte tournante” (facile à annuler) vs “porte à sens unique” (engagement lourd).
- Exemple: tester une offre sur 20 clients = tournante; changer d’infrastructure = sens unique.
- Poser des bornes simples. Budget, durée, et critère d’arrêt clairement écrits, au plus tôt.
- Exemple: “2 semaines, 1 000 €, succès si >10 RDV qualifiés; sinon on pivote.”
- Documenter les paris en cours. Un tableau vivant évite les biais de mémoire et soutient l’arbitrage.
- Colonnes: hypothèse, coût, fenêtre de test, signal de succès, décision.
3) Cesser de confondre talent et itération
Ce qu’on croit: Les meilleurs y arrivent du premier coup, les autres essayent.
Ce qui se passe vraiment: Dans l’immédiat, on voit surtout les versions finales; les brouillons, eux, restent hors‑champ. En d’autres termes, nous confondons “résultat visible” et “processus invisible”. Le talent existe, mais il se nourrit d’un volume d’essais bien plus important qu’on ne l’admet.
Ce qu’il faut faire:
- Tenir un journal d’itération. Notez date, variante, objectif, résultat, et ce que vous changez ensuite.
- Exemple: “Pitch v3: plus court de 30%. Résultat: 2/10 RDV. Action: clarifier la promesse.”
- Augmenter le débit d’essais de 20–30%. De façon générale, un léger surcroît de volume débloque des patterns.
- Exemple: passer de 5 à 7 itérations par semaine sur un script de vente.
- Planifier des “revues de brouillons”. Demander un retour tôt, sans chercher à “impressionner”.
- Exemple: revue croisée le mercredi avec un pair, 15 minutes chrono.
4) Remettre la perfection à sa place
Ce qu’on croit: Mieux vaut attendre la version parfaite avant de publier.
Ce qui se passe vraiment: À long terme, l’attente de perfection retarde l’apprentissage et fatigue l’équipe. Le monde réel affine ce que le bureau idéalise: de fil à aiguille, le terrain simplifie, tranche, priorise. Par conséquent, il faut livrer des “versions testables” suffisamment bonnes pour rencontrer la réalité.
Ce qu’il faut faire:
- Définir votre “prêt à tester”. Une checklist minimaliste, claire: c’est‑à‑dire “sûr, fonctionnel, compréhensible”.
- Exemple: page d’accueil simple, promesse claire, formulaire qui marche, suivi analytics.
- Poser une “Definition of Done” réaliste. Elle protège la qualité sans tuer la vitesse.
- Exemple: 3 critères non négociables + 2 bonus si le temps le permet.
- Organiser des cycles courts de publication. Petite portée, feedback direct, itération rapide.
- Exemple: sortie à 50 bêta‑testeurs avant le public.
5) Ne pas attendre la motivation, la créer
Ce qu’on croit: Quand je serai motivé, j’essaierai.
Ce qui se passe vraiment: Sous un autre angle, l’action précède souvent la motivation. Une micro‑victoire génère de l’élan, puis l’élan nourrit l’effort. Vous n’êtes pas le seul à chercher une solution simple: une mise en route minuscule fait souvent l’affaire.
Ce qu’il faut faire:
- La règle des deux minutes. Commencez par une tâche si petite qu’elle semble trop facile.
- Exemple: ouvrir le document, écrire un titre, lister 3 idées en puces.
- Le rendez‑vous non négociable. Un créneau fixe, court, quotidien.
- Exemple: 20 minutes à 8h30 pour “essayer” quelque chose, sans objectif de brillance.
- Designer l’environnement. Rendez l’essai le chemin de moindre résistance.
- Exemple: modèle prêt, checklist à portée, notifications coupées par défaut.
6) Mesurer l’effort autant que le résultat
Ce qu’on croit: Seul le résultat compte; l’effort n’est qu’une consolation.
Ce qui se passe vraiment: De façon générale, le résultat dépend à la fois de votre action et d’aléas externes. Mesurer uniquement la sortie vous rend otage du hasard; mesurer l’entrée (effort) vous redonne la main. En fin de compte, le duo “process + outcome” stabilise la progression.
Ce qu’il faut faire:
- Scorage double: inputs et outputs. Inputs = ce que vous contrôlez; outputs = ce que vous influencez.
- Exemple: “10 prises de contact/jour” (input) et “taux de réponse >15%” (output).
- Revue hebdo orientée cause. Quand ça monte ou baisse, on cherche le “pourquoi”, pas un coupable.
- Exemple: “Réponses en baisse: message plus long? ciblage moins précis?”
- Seuils et seuils plancher. Un plancher d’effort protège l’apprentissage, même en période creuse.
- Exemple: au minimum 5 essais/semaine, quoi qu’il arrive.
7) Transformer l’échec en matière première
Ce qu’on croit: Un échec en dit plus sur moi que sur la méthode.
Ce qui se passe vraiment: À vrai dire, un échec isolé parle rarement de votre valeur; il parle d’un contexte, d’une hypothèse ou d’un timing. En d’autres termes, c’est un signal brut à décoder, pas un verdict. De fil à aiguille, traiter l’échec comme une donnée rend la suite plus intelligente.
Ce qu’il faut faire:
- Post‑mortem bref et factuel. 10 minutes, trois colonnes: ce qu’on a tenté, ce qu’on a vu, ce qu’on change.
- Exemple: “Offre A: trop technique pour des non‑experts. Prochaine: vocabulaire simple.”
- Cataloguer les causes. Marché, message, canal, timing, exécution.
- Exemple: tagguez chaque essai; au bout d’un mois, regardez les motifs récurrents.
- Boucle de réutilisation. Transformez chaque “non” en ressource.
- Exemple: une FAQ basée sur les objections rencontrées.
Liste récapitulative
| Idée reçue (Ce qu’on croit) | Conseil utile (Ce qu’il faut faire) |
|---|---|
| Essayer prouve un manque de niveau | Définir des objectifs d’apprentissage et des micro‑expériences cadencées |
| Il faut réussir d’un seul coup | Multiplier les essais réversibles avec des bornes claires et un suivi des paris |
| Les meilleurs y arrivent du premier coup | Tenir un journal d’itération, augmenter légèrement le volume d’essais, demander des revues précoces |
| Publier seulement quand c’est parfait | Définir “prêt à tester”, une Definition of Done réaliste, et publier en cycles courts |
| La motivation précède l’action | Appliquer la règle des deux minutes, instaurer un rendez‑vous quotidien, simplifier l’environnement |
| Seul le résultat compte | Mettre en place un scorage double inputs/outputs, une revue hebdo causale, des planchers d’effort |
| L’échec juge la personne | Faire des post‑mortems brefs, cataloguer les causes, réutiliser les objections en ressources |
Conclusion
Pour faire court, “essayer” n’est pas l’antithèse de “réussir”; c’est sa méthode. Dans l’immédiat, adoptez des micro‑expériences réversibles, mesurez ce que vous contrôlez, et publiez plus tôt que parfait. À long terme, cette hygiène transforme l’effort en avantage cumulatif. En fin de compte, appliquer ces points simples permet d’éviter bien des erreurs. Ce qu’on croit souvent vrai ne résiste pas aux faits… et c’est tant mieux pour progresser.